Raymond Soubie juge "totalement irresponsable que des adultes en situation de responsabilité dans certaines organisations invitent les lycéens", comme ce serait le cas du NPA selon le ministre de l'Education national Luc Chatel. Etes vous manipulé Victor Colombani ?
Il est drôle, Soubie, quand il nous annonce que c'est les adultes qui sont en train de manipuler les lycéens. Qu'il aille devant un lycée, qu'il aille parler avec des lycéens et il verra bien que les jeunes sont convaincus par les discussions qu'ils ont pu avoir avec d'autres lycéens dans des assemblées générales ou lors de distributions de tracts. Aujourd'hui, aucune organisation "adulte" n'a lancé d'appel pour faire sortir les lycéens dans la rue. C'est une réforme qui touchera avant tout les jeunes. Ils sont convaincus que cette réforme des retraites est injuste, qu'elle va casser toute perspective d'avenir. Nous refusons, lycéens, jeunes travailleurs, de travailler jusqu'à 67 ans et de nous voir supprimer notre droit fondamental à avoir une pause après le travail. Aujourd'hui, il y a déjà un million de jeunes chômeurs, on arrive à notre premier emploi stable à 27 ans. Commencer à travailler à 30 ans pour terminer à 67, les lycéens s'y refusent et ils l'ont montré dans la rue depuis jeudi dernier.
"Manifester, c'est dangereux. La place des lycéens est dans leur classe", met en garde le ministre Luc Chatel. Selon lui, il serait plus responsable de suivre sagement vos cours pour avoir une bonne retraite...
Le gouvernement estime que les lycéens sont irresponsables quand ils ne vont pas en cours. Premièrement, Luc Chatel s'attaque à un droit fondamentale qui est celui de l'expression. Aujourd'hui, le seul moyen d'expression des lycéens est d'être dans la rue, de se mobiliser. Deuxièmement, il faut avoir en tête que la responsabilité ne pèse pas sur les lycéens mais sur le gouvernement. C'est lui qui est responsable de cette mobilisation, qui fait sortir les lycéens dans la rue, lorsqu'il nous demande de travailler jusqu'à 67 ans sans rien proposer pour l'emploi des jeunes.
Le pouvoir dit les lycéens incontrôlables, radicaux. Avez-vous peur que les manifestations dégénèrent ?
Les quelques problèmes qu'on a pu avoir depuis jeudi dernier sont quand même extrêmement minoritaires. Pourquoi ces débordements ? Aussi parce que pendant une mobilisation de la jeunesse et notamment celle-ci, le gouvernement continue sa politique de répression de la jeunesse. Dans l'Aine, des flics ont pris les téléphones portables des lycéens puis les ont embarqués dans leurs fourgons. Ces répressions policières énervent et sont aussi une explication du fait qu'il y a eu quelques débordements. Mais cela reste vraiment minoritaire.
A première vue vous n'avez pas l'air bien méchant. Pourquoi faites vous aussi peur au gouvernement et à l'Elysée ?
Parce que par le passé, les jeunes ont démontré qu'ils étaient capables de faire reculer le gouvernement sur plusieurs de leurs projets inégalitaires et injustes. On l'a vu pendant le CPE, et plus récemment pour la réforme Darcos. Ils n'ont rien à perdre lorsqu'ils se mobilisent, si ce n'est quelques journées de cours. Ils n'ont pas de salaire, ils peuvent aller jusqu'au bout, et nous irons jusqu'au bout sur la réforme des retraites.
Sarkozy l'avait dit lui même, il avait peur des manifestations de la jeunesse, il pensait qu'il réussirait à tenir le mouvement tant que les jeunes ne seraient pas mobilisés. Eh bien les jeunes sont maintenant mobilisés et le gouvernement devrait ouvrir les yeux plutôt que de rester aveugle comme il le fait depuis un mois.
Pourquoi cette mobilisation en deux temps : absence totale de lycéens au début et aujourd'hui, sursaut de mobilisation, plus visible en province qu'à Paris ?
La rentrée scolaire s'est faite il y a seulement un mois. Pour toute mobilisation, il faut de l'organisation. L'UNL a appelé depuis le début de l'année à organiser des AG dans tous les établissements, pour discuter, pour débattre de la réforme des retraites et de ses modalités d'actions. Jeudi dernier, il y avait un appel pour une journée d'action jeunes dans toute la France. Les lycéens en ont fait une grande mobilisation lycéenne. Souvent, les mouvements partent de la province, c'est classique. On s'attend ensuite à ce que cela fasse tâche d'huile.
Avez vous des contacts avec les politiques ou les centrales syndicales ? On dit qu'elles ne sont pas très chaudes pour vous voir entrer dans la danse, de peur de perdre la maîtrise du mouvement.
Les centrales ont conscience de l'importance de la mobilisation des jeunes pour le mouvement contre les retraites. Ce n'est pas à elles de nous indiquer si on doit se mobiliser ou non. Maintenant, elles sont toutes restées réservées sur la mobilisation des jeunes. Et lorsque François Chérèque disait que faire mobiliser les jeunes c'est l'arme du faible, il parlait de les faire mobiliser lui-même en temps que responsable de la CFDT, que ce n'était pas son rôle.
Vos revendications sont-elles les mêmes que celles de l'intersyndicale ?
Nous affirmons tous notre volonté de maintenir la retraite à 60 ans à taux plein. Il y a quelques revendications spécifiques aux jeunes et aux lycéens, comme prendre en compte la période d'étude, de formation, d'inactivité forcée. Aussi, c'est une réelle politique d'emploi que doit mener le gouvernement s'il veut réussir à financer les retraites. Nous demandons également plusieurs avancées sur les lycéens déjà défavorisés comme ceux qui sont en lycées professionnel ou en CAP et commencent à travailler très tôt. Ou les 150 000 lycéens qui sortent chaque année du système scolaire sans avoir eu de diplôme et vont parfois devoir cotiser 47, 48 voire 50 ou 51 ans pour espérer toucher une retraite à taux plein.
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