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Nombre de messages : 9064 Age : 33 Ville : Grand Ouest Date d'inscription : 17/05/2007
| Sujet: Comment la jeunesse est traitée par nos dirigeants Dim 28 Déc - 21:17 | |
| - Citation :
- Au revoir les enfants, bonjour les délinquants
Dominique Charvet ancien président de la commission Jeunes et politiques publiques au Commissariat général du Plan, ancien directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse.
Le 3 décembre, le recteur Varinard a remis le rapport qui lui avait été demandé sur la justice des mineurs dont les articles parus dans la presse avaient déjà donné les axes principaux.
Auparavant une bataille de chiffres avait commencé entre le ministère et des chercheurs créant des interrogations sur l'une des principales justifications objectives des réformes envisagées mais la «mère des batailles» n'est pas là. Elle n'est pas non plus dans la prison à 12 ans qui ne relève pas du «bon sens» comme le Premier ministre a dû le rappeler à la garde des Sceaux. Elle touche au projet qu'une société, la nôtre, se donne pour sa jeunesse. Un projet n'est pas affaire de statistiques mais de façon dont on traite les réalités qu'elles peuvent révéler, en l'espèce une croissance de la délinquance violente de la part de jeunes. C'est cela la politique et c'est bien de la politique que font la garde des Sceaux et le président de la République par commission interposée.
Quoi que viennent en dire aujourd'hui les différents responsables gouvernementaux, l'immédiat après-guerre, où a été fondée la justice des mineurs en France, était d'une dureté, d'une âpreté dont on a perdu l'idée et - puisqu'une des causes de la future réforme serait que les jeunes n'en sont plus - rappelons que l'on y était adulte bien plus tôt qu'aujourd'hui, car on n'y avait guère la possibilité d'y rester enfant. Non, les choix qui ont été faits alors n'étaient pas le fruit d'une France vivant dans un long fleuve tranquille avec d'aimables jeunes chapardeurs de bicyclettes mais d'une volonté de relever un défi : celui de reconstruire un pays faisant une place à tous.
Il faut relire le préambule de l'ordonnance de 1945, en tout cas son premier paragraphe et ce jusqu'au dernier mot : «Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l'enfance traduite en justice. La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. La guerre et les bouleversements d'ordre matériel et moral qu'elle a provoqués ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l'enfance coupable est une des plus urgentes de l'époque présente. Le projet d'ordonnance atteste que le Gouvernement provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs et, plus particulièrement les mineurs délinquants.»
Oui, il est bien écrit que la République entend protéger plus particulièrement les mineurs délinquants. Trop fort préambule qui allait à ces temps de grandeur gaullienne, mais qui fait peur à la commission Varinard et ses commanditaires : il disparaîtra comme un vieux drapeau que l'on trouve démodé au bénéfice d'une analyse juridique du Conseil constitutionnel sur la finalité éducative de la sanction.
Beaucoup de renoncements contenus par le texte du rapport sont dans cet abandon. Là où la nation projetait l'éducation, la commission Varinard enferme la réflexion sur la jeunesse difficile et en difficulté dans les hauts murs du droit pénal et nous propose un code de la justice pénale des mineurs car, ainsi qu'elle l'écrit, «La réponse doit nécessairement prendre une dimension plus répressive.»
Au vrai, le débat de 2008 est, contrairement à ce qui est et sera soutenu par le gouvernement, le même que celui de 1945, car il est celui que pose toujours le sort réservé à la jeunesse : que voulons nous faire de demain ? Une société manichéenne avec des victimes dont la protection devient la seule finalité de la justice et des délinquants que l'on punit toujours plus, ou une société où nous acceptons que le bien et le mal rendent compte ensemble de notre humanité commune ? Une société séparée entre des majeurs et des mineurs coexistant dans la peur réciproque : celle du majeur pédophile et celle du mineur violent ou une société dans laquelle il y a des adultes qui se considèrent responsables d'enfants en devenir d'adultes et des enfants qui se sentent attendus comme les relais de l'avenir ?
La commission Varinard ne veut plus d'enfants, elle supprime donc le mot dans l'appellation des juridictions ouvrant la voie à leur banalisation - ce qui est la vraie condamnation de la justice spécialisée. Elle qui, en 1945, était conçue comme l'avenir de la justice des adultes. Il y a là une forme de négation du rapport de filiation qui structure les rapports de générations dans une société. C'est un Au revoir les enfants qui gênent parce qu'ils nous renvoient aux conséquences de la violence des situations de domination et d'abandon que nous avons laissées s'installer dans la jeunesse populaire - la «guerre glacée» de nos sociétés - et dont ils sont les premières victimes, comme ils l'étaient de la Seconde Guerre mondiale.
Désormais il n'y aura plus d'enfants et nous n'aurons ainsi plus de responsabilités à leur égard. Nous la leur transférons cette responsabilité qu'ils auront à assumer, comme des grands, face à la loi et aux juges. Et seulement aux juges puisque l'on supprimera les assesseurs venus de la société civile qui témoignent de l'engagement de celle-ci dans le projet de justice voulue par les hommes et les femmes de la Libération qui faisait des Chiens perdus sans collier [Gilbert Cesbron, ndlr] les enfants de nous tous.
Il est terrible le message qui dit qu'ils ne le sont plus. >> http://www.liberation.fr/societe/0101307865-au-revoir-les-enfants-bonjour-les-delinquants | |
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