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Non Monsieur nous n’avons pas vécu à crédit !
C’est à vous que je m’adresse, Monsieur l’invité de Taddéi de ce mardi 26. Vous qui avez eu l’impudence de nous asséner que le système de répartition nous avait permis de « vivre à crédit » depuis 50 ans, et que maintenant le crédit est épuisé.
Eh bien non, Monsieur, nous n’avons pas vécu à crédit. Au contraire, c’est nous, ceux de la génération des sexagénaires, et nos parents, qui vous avons fait crédit pendant 50 ans, vous faisant confiance pour gérer honnêtement, dans le respect des intérêts de tous, le pacte social instauré par le programme des retraites et la sécurité sociale. Vous et vos pareils, vous nous avez trahis. S’il y a un crédit épuisé, c’est bien celui que nous vous avions accordé.
Peut-être est-ce par ignorance que vous nous avez trompés ? Ce ne serait pas vraiment une circonstance atténuante, vu la hauteur de vos compétences autoproclamées et des émoluments qui vont avec, mais soit – tentons une ultime leçon de rattrapage.
Principe de répartition : prélever, sur les richesses produites dans notre pays, la part destinée à assurer aux travailleurs âgés une fin de vie décente, et exonérée de l’obligation du travail. Toute notre vie, nous avons par notre travail, et par lui seul, assuré la subsistance de nos enfants (via notre salaire) et celle de nos parents et grands-parents (via nos cotisations sociales).
Ce n’est pas, Monsieur, un système de crédit. C’est un système de partage. Un système de solidarité - un mot qui vous insupporte, sans doute… Un système dans lequel les adultes responsables que nous sommes trouvions normal, en échange de notre travail, de pouvoir nourrir nos enfants et nos vieux parents. Quel être humain normal ne considérerait pas comme son devoir, et même son honneur, d’en faire autant ? Vous peut-être. Mais pas nous.
Nous sommes un pays riche. Très riche, même. La richesse que nous produisons, c’est 30.000 € par an et par personne (jeunes et vieux compris). Et c’est nous qui, par notre travail, la fabriquons. Un pays vieux, peut-être, mais dans lequel ce ne sont pas les modestes travailleurs qui ont le plus de chances de voir s’allonger leur espérance de vie, il ne faut pas l’oublier. Nos vieux, ils n’ont tout au plus que 15.000 € par an de pension, la moitié du PIB par habitant, et la part de richesse que leur assurent les cotisations sociales ne représente pas plus de 10% de la richesse globale. Alors qu’ils pèsent entre 15 et 20% de la population. Dans 10 ans, ou 15, ils seront (et nous avec) peut-être 30% de la population, et ne pèseront toujours pas plus que 15% de la richesse globale. Est-ce intenable ? Est-ce vivre « au-dessus de ses moyens » ? Que dire alors de ces managers à 3 ou 7 millions par an (200 à 500 ans de vie d’un smicard !) ou de ces actionnaires à des dizaines de millions ? Valent-ils le prix que nous les payons, par notre sueur et parfois notre sang ?
Non, bien sûr. La majorité d’entre nous ne dépassera pas l’âge de 65 ans. Beaucoup finiront leurs existences encore avant, parfois même sur les chantiers. Les centenaires ne se recrutent pas dans les rangs des modestes travailleurs qui fabriquent votre pain, bâtissent vos maisons, transportent vos télés et vos salons haut-de-gamme, vous soignent quand vous êtes malades, instruisent vos enfants, nettoient vos rues, raffinent votre pétrole, bétonnent vos routes, vous approvisionnent en eau, en gaz, en électricité, et dont les salaires qui les font (sur)vivre ne suffiraient même pas à payer le loyer de vos maisons !
Vous nous méprisez, Monsieur, et je ne vous donne pas tort. Nous sommes en effet risibles, nous qui avons cru possible l’instauration d’une logique de partage avec des gens comme vous. Car vous n’avez aucune conscience. Vous êtes du parti des profiteurs. Cela fait plus de 30 ans que vos pareils nous ont grugés. Ils ont profité des gains de productivité, à leur seul avantage, pour faire baisser l’emploi (et les salaires, et les cotisations sociales) – et nous avons dû supporter une charge de travail toujours plus lourde, pour des salaires toujours plus légers. Ils ont profité de l’ « ouverture des marchés » pour aller installer leurs unités de production (rentables) dans des pays où les salaires sont 50 ou 100 fois plus bas qu’ici, et où les travailleurs sont traités comme des esclaves, et ils ont ensuite profité du chômage que ces manœuvres provoquaient chez nous pour exiger toujours plus d’exonérations sur les cotisations dues aux retraites. Et, ces montants qu’ils refusaient de payer, en contradiction avec les accords qu’ils avaient eux-mêmes signés, et alors même que leurs fortunes gonflaient de manière indécente, ils ont acculé l’Etat à les leur emprunter. Et vous, nos mandataires, que nous avions élus pour nous représenter et nous défendre, vous les avez laissé faire ! Et maintenant, vous venez nous dire que nous avons vécu à crédit !
Oui, Monsieur, le crédit est épuisé. Mais vous vous trompez de cible. C’est le crédit que nous mettions dans votre dévouement à l’intérêt collectif qui est épuisé. Sous vos beaux atours et vos postures de gestionnaires responsables, le hideux visage de votre asservissement à une coterie de privilégiés ploutocratiques est enfin devenu visible pour tous, et on ne voit plus que lui.
Quel que soit l’avenir immédiat du mouvement de révolte que suscite votre injustice, il viendra bien un jour où il vous faudra payer votre dette.