Au détour d'un amendement au projet de loi sur la réforme des retraites, le gouvernement veut profiter du débat parlementaire sur les pensions pour engager, sans négociation, une rénovation de la mission des médecins du travail, qui passerait désormais sous le contrôle des employeurs.
De la prévention à l'accompagnement. Plusieurs amendements relatifs à la médecine du travail ont en effet été adoptés en commission, mardi et mercredi, et seront soumis au vote de l'ensemble des députés en séance plénière, certainement lundi. L'amendement 730 définit ainsi la mission de la médecine du travail : "Conduire des actions de santé au travail visant à préserver la santé physique et mentale des travailleurs, tout au long de leur parcours professionnel, et à les maintenir dans l'emploi."
Mercredi, Marisol Touraine, députée socialiste, a dénoncé à l'Assemblée une "refonte" en catimini et un "démantèlement" de la médecine du travail. Le ministre du travail, Eric Woerth, droit dans ses bottes, a répondu qu'il s'agissait de "rétablir une égalité de traitement entre les différents salariés".
La mission d'un médecin du travail est "de prévenir toute atteinte à la santé des salariés" dans le cadre de leur travail, rappelle la Dre Mireille Chevalier, secrétaire générale du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). Un rôle qui n'est pas toujours en phase avec les intérêts recherchés par les directions d'entreprise.
"L'objectif ne sera plus de protéger les salariés des problèmes de santé liés à leur travail, mais de les accompagner vaille que vaille", estime le Dr Bernard Salengro, membre de la CFE-CGC, la Confédération française de l'encadrement. "Il s'agit davantage d'une mission d'accompagnement", confirme Mireille Chevalier.
Un contrôle par les employeurs. Le texte prévoit aussi que "les missions des services de santé au travail soient assurées par une équipe pluridisciplinaire". Il précise que "les missions définies sont exercées, sous l'autorité de l'employeur, par les médecins du travail". L'annonce de leur perte d'indépendance. "Aujourd'hui, les médecins définissent leur mission, note Mireille Chevalier. Ils font leurs choix en fonction de ce qu'ils jugent prioritaire, sans avoir à se soucier des préférences du chef d'entreprise. Cette situation ne les laissent pas complètement libres de toute pression, mais ils conservent une liberté technique totale."
Pour Mme Chevalier, "les employeurs voient dans le médecin un levier pour se protéger de tout problème qui peut leur coûter de l'argent, susceptible de veiller à ce que ses installations, les produits utilisés soient réglementaires. Donner aux employeurs la définition des missions, c'est comme offrir aux cigarettiers la mise en œuvre de la politique de prévention contre la tabagie. Ce n'est pas compatible", constate-t-elle.
En cas d'adoption de cet amendement par le Parlement, la médecine du travail "dépendra de l'autorité des employeurs", dénonce Marisol Touraine. Une anomalie que regrette également Francis Vercamer, député Nouveau Centre, auteur de plusieurs amendements sur la réforme de la médecine du travail dont s'est largement inspiré le gouvernement. "Curieusement, le volet que j'ai rédigé qui réaffirme l'indépendance des médecins n'a pas été retenu. Je le représenterai", annonce-t-il. Francis Vercamer est néanmoins sans illusion quant au sort que réserveront ses collègues de la majorité présidentielle à son amendement. "S'il passait , le Medef serait vent debout", glisse-t-il.
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