Si vous ne l'avez pas fait, je vous recommande de lire de roman 1984 de George Orwell. Écrit en 1948, ce livre raconte la vie d'un homme vivant dans un État totalitaire (à Londres), au sortir d'une guerre nucléaire entre l'Est et l'Ouest. Le pouvoir est symbolisé par Big Brother, qui "is watching you" ! La dictature totale qui est décrite, faisant référence au stalinisme et au nazisme, a pour but ultime de contrôler la pensée de tous les êtres humains, par différentes méthodes.Pour en savoir plus, la page Wikipédia est complèteNous allons ici nous intéresser aux éléments du totalitarisme qui sont détaillés dans le roman. Des éléments que nous devons toujours garder à l'esprit, car ils sont pour la plupart toujours utilisés aujourd'hui.Trucage de l’Histoire et propagandeLe Parti a la mainmise sur les archives et fait accepter sa propre vérité historique en la truquant ; il pratique la désinformation et le lavage de cerveau pour asseoir sa domination. Il fait aussi disparaître des personnes qui lui deviennent trop encombrantes et modifie leur passé, ou les fait passer, faux témoignages des intéressés à l'appui, pour des traîtres, des espions ou des saboteurs. C'est le principe de la « mutabilité du passé » car « qui détient le passé détient l’avenir ».
Un positionnement réellement philosophique soutient l'action du Parti : la théorie du Parti est que le passé n'existe pas en soi. Il n'est qu'un souvenir dans les esprits humains. Le monde n'existe qu'à travers la pensée humaine et n'a pas de réalité absolue. Ainsi, si Winston est le seul homme à se souvenir que l'Océania a été une semaine plus tôt en guerre contre l'Eurasia et non contre l'Estasia, c'est lui qui est fou et non les autres. Pourtant le fait est réel, mais seulement dans la mémoire de Winston. Le Parti impose une gymnastique de l'esprit aux hommes (appelé « doublepensée » en novlangue) : il faut assimiler tous les faits que le Parti leur jette, et surtout oublier qu'il en a été autrement. Et de plus, il faut oublier le fait d'avoir oublié.
Pour le philosophe français Jean-Jacques Rosat, « la leçon philosophique et politique de 1984, c'est que la liberté et la démocratie sont incompatibles avec le relativisme et le constructivisme généralisés ».
Big Brother et TélécransAu domicile et sur les lieux de travail des membres du Parti, ainsi que dans les lieux publics, sont disposés des « télécrans », système de vidéosurveillance et de télévision qui diffusent en permanence les messages du Parti et surveillent simultanément. Les télécrans permettent à la police de la Pensée d’entendre et de voir ce qui se fait dans chaque pièce où s'en trouve un. Seuls les membres du parti intérieur peuvent arrêter le télécran qui se trouve à leur domicile pendant une courte période. On peut rapprocher le télé écran des écrans géants de télévision interactive qui peuplent les murs des maisons dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953). Allumés en permanence, ils abrutissent la population, puisque les livres et le développement de l'imaginaire sont interdits par la loi. Les pompiers pyromanes sont d'ailleurs chargés de brûler les livres et de pourchasser les asociaux.
Orwell a, si l'on peut dire, manifestement sauté sur une innovation qui faisait débat à l'époque : la télévision, dont le nom était en lui-même tout un programme. La confusion entre récepteur et caméra était, en outre, une inquiétude répandue aux débuts de la télévision, certaines des rares personnes équipées se croyant surveillées par l'appareil. Une trace de cette angoisse se voit dans Les Temps modernes de Charlie Chaplin : Charlot est rappelé à l'ordre par l'écran géant où apparaît son patron, qui le « voit » à travers et le suit des yeux. On peut encore déceler un écho de cette idée dans 2001 : l'odyssée de l'espace, de Stanley Kubrick, où l'ordinateur Hal 9000 surveille en permanence le vaisseau spatial et ses passagers par ses innombrables et inquiétants objectifs de caméra rougeâtres. Et il va sans dire que les habitants de la terrifiante ville souterraine de THX 1138, de George Lucas, sont surveillés en permanence dans leur moindres faits et gestes.
Il est remarquable que le pays de George Orwell, la Grande-Bretagne, soit aujourd'hui le plus densément équipé en réseaux de télésurveillance : on compterait une caméra pour 15 habitants.
Destruction du sens logiqueLe « sens logique » des assujettis au régime est altéré. En novlangue, par exemple, un même mot comme « canelangue » peut avoir un sens laudatif s’il est appliqué à un membre du parti ou péjoratif s’il est appliqué à un ennemi du Parti. Il devient donc impossible de l'utiliser pour dire du mal d'un membre du Parti. La population est abreuvée de slogans comme :
* « La guerre, c'est la paix. »
* « La liberté, c'est l’esclavage. »
* « L'ignorance, c'est la force. »
* « 2 + 2 = 5 » (à ce slogan, Winston réagit sur son journal en déclarant : « La liberté,c'est la liberté de dire que deux plus deux font quatre. »)
Bouc émissaire et manifestations de haine collectiveL’ensemble des maux qui frappent la société est attribué à un opposant, le « Traître Emmanuel Goldstein », dont le nom et la description physique ressemblent beaucoup à Lev Bronstein alias Léon Trotski. Ce traître est l'objet de séances d'hystérie collective obligatoires, les « deux minutes de la haine ».
Ce Goldstein peut aussi être considéré, tout comme Big Brother, comme une allégorie immortelle. En l'occurrence une personnification du mal, de la déviation par rapport au parti. On pense évidemment à l'« Ennemi du Peuple » dont se servait Staline, dont le régime totalitaire aura largement inspiré le roman dans son ensemble.
Appauvrissement planifié de la langueLe novlangue fait l’objet d’appauvrissements planifiés dont le but est de rendre impossible l’expression et la formulation de pensées subversives. Bien qu'il soit toujours possible de dire que les décisions du Parti sont mauvaises, il sera impossible d'argumenter sur cela. De plus, les mots novlangues comportant peu de syllabes afin d'être prononcés plus rapidement, sont conçus pour être prononcés sans réflexion et afin d'anéantir l'affect et la connaissance intuitive des mots. À l’époque où est censé se passer le roman, le novlangue constitue encore une nouveauté, qui coexiste tant bien que mal avec l’anglais classique. Le langage en est réduit à une fonction informative.
Embrigadement des enfantsPour avoir plein pouvoir sur les familles, les enfants sont endoctrinés très jeunes. On les encourage à dénoncer leurs parents au moindre symptôme de « manque d'orthodoxie ».
On pourrait rapprocher ce comportement avec celui des enfants sous le régime fasciste italien ou dans le système soviétique, qui récompensait les jeunes qui dénonçaient leurs parents et avait fondé un véritable culte national autour du jeune mouchard Pavel Morozov.
Je vous laisse deviner les parallèles pour chacun de ces points entre ce livre et notre société actuelle. La détention aliénante du héros à la fin du roman est aussi particulièrement intéressante pour évaluer les méthodes de tortures psychologiques, qui furent employées notamment par la CIA.Novlangue | Doublepensée | Vidéosurveillance | Abrutissement de la population | Désinformation | Lavage de cerveau | Destruction du sens logique | Bouc émissaire | Embrigadement
Une analyse du livre : http://www.er.uqam.ca/nobel/mts123/yves.html