Etranges.. étrange silence alors que la lutte dure en Guadeloupe depuis 13 jours ! 13jours de paralysie et personne ou presque qui n'en parle.. Pourtant nous sommes un forum de personnes engagées et solidaires donc réveillez vous un peu ! Ce qui se passe en Guadeloupe pourrait très bien se passer en France métropolitaine ! (bien que la situation soit différente). GUADELOUPE : UN PEUPLE QU’IL FAUT ENTENDRE - VOIR - RESPECTER Liyannaj Kont Pwofitasyon *
Samedi, 31 Janvier 2009 11:24
En ce mois de janvier 2009, la Guadeloupe aura connu une grève générale qui marquera durablement les esprits. Une intersyndicale composée de 49 organisations a présenté un cahier de revendications comptant 120 points : coût exorbitant de la vie, emploi, éducation, santé… et jusqu’à la culture, affichant ainsi clairement le niveau d’une insatisfaction longtemps contenue. Si nul ne se réjouit de voir une société paralysée pendant des jours, on retiendra qu’une grande majorité de citoyens adhère solidaire, au bien fondé de cette contestation sociale. Citoyens, qui tous horizons - ethnique, générationnel, social et politique - confondus, évoquent sans cesse le malaise sourd, le marasme, qui englue l’archipel.
Et voilà que des Guadeloupéens, présentés comme des « jouisseurs inconséquents », trouvent la voix d’Elie Domota pour porter leur parole, et font à travers ce mouvement, la démonstration qu’ils ont la volonté de cesser de subir leur existence comme une fatalité et qu’ils veulent tenter d’assumer leur destinée. Cessons d’en douter et donnons plutôt des ailes à cette aspiration entravée.
D’autre part, un pays entier où l’on est trop souvent témoin de pratiques dignes de républiques bananières, a pu durant quelques jours, observer comment la presse peut, ‘‘quand elle veut’’, être vecteur de transparence et de démocratie. Car on a pu voir au cours des séances de négociation, retransmises en direct sur plusieurs télés, les syndicalistes (habituellement dépeints comme de simples voyous voulant mettre « le pays à feu et à sang » je cite Madame Colette Koury, présidente de la CCI de Pointe-à-Pitre) poser avec détermination des revendications justes, tenir un discours cohérent, avancer des arguments pertinents. Face à eux, un préfet encadré de sa troupe de fonctionnaires et des politiques des collectivités locales, moins à l’aise. Les citoyens ont ainsi pu apprécier l’attitude de chacun autour d’une table ethniquement compartimentée, à l’image de la répartition du pouvoir confisqué par de véritables castes… Il faudra bien que le souffle de la démocratie les emporte un jour pour faire place à une société ouverte où l’égalité des chances ne sera pas un vain mot.
On a pu entendre ces ‘‘casseurs’’ et ‘‘voyous’’ de syndicalistes poser de vraies questions, celles qui dérangent les petits arrangements entre copains, mettre en lumière les trafics de tous poils. On a pu voir les bouderies des uns, et les autres quitter la table de négociation, offensés par la nudité insolente de quelques vérités. C’est qu’il faudrait peut-être venir les dire en costume queue de pie et bouquet de fleurs à la main. Dans un contexte de crise mondialisée dont la principale origine réside dans les pratiques mafieuses des milieux politico financiers internationaux, les cols blancs devraient jouer de modestie et se dire qu’ils sont mal placés pour exiger plus de respect que cela.
Lorsque des représentants de l’Etat se comportent dans l’ex colonie avec une vieille arrogance, cela peut nous heurter mais ne saurait nous surprendre. L’interview hallucinante de Yves Jégo, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, par le journaliste de RFO Eric Rayapin (mai 2008) en fut la caricature. Nous, citoyens, avons l’exigence du respect qui nous est dû. Nous l’attendons des représentants de l’Etat français, bien sur, mais encore plus des élus de l’île et tous ceux qui sont aux commandes.
Nous voulons que change l’attitude de ces responsables et élus qui refusent d’entendre, voir et respecter le peuple qu’ils ont pourtant vocation de servir. Nous voudrions ne plus avoir à lutter contre des blocages dont nos propres élus se font complices, contre les intérêts de ce pays. Et cela dans tous les domaines. Comment faire pour « avancer », « passer à autre chose » quand les problèmes posés demeurent délibérément irrésolus et que les questions se heurtent à un mur de silence et de mépris ? Enfin, lorsque le peuple acculé s’organise pour tenter d’obtenir des réponses, on a beau jeu de lui rappeler que la démocratie veut qu’on n’élève pas trop la voix, qu’on attende la prochaine élection, ou qu’on envoie un courrier poste restante (dans une boîte aux lettres que personne jamais ne vient ouvrir). Afin d’illustrer cette forme d’arrogance, permettez-moi de rappeler sans nostalgie aucune (je me méfie parfois de son parfum d’indécence), un triste ‘‘anniversaire’’. 1998 - 2008 une décennie déjà que le Conseil Régional de la Guadeloupe a passé commande d’une série de 7 panneaux de grandes dimensions peints par Nicole Réache.
Depuis 10 ans, en réponse à un article de France-Antilles qui la disait « géniale », j’ai dénoncé dans le journal Sept Magazine, l’auteur des panneaux peints ornant l’hémicycle de la Région. Au Centre Culturel Rémy Nainsouta de Pointe-à-Pitre, madame Réache s’était illustrée en juin 1998 (année du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans notre île), par une exposition de tableaux présentant l’univers des plantations esclavagistes dans un exotisme dégoulinant d’une « nostalgie » particulièrement indécente, compte tenu de la date symbolique choisie pour l’exposition au titre déplacé et ironique de Mémorielles 3.
D’autres articles ont suivi, ainsi que des courriers circonstanciés (reproductions de tableaux, extraits de textes révisionnistes du catalogue) adressés à Madame Lucette Michaux-Chevry, Présidente en fonction lors de la commande publique à N. Réache, puis à Victorin Lurel, actuel Président du Conseil Régional. Ces courriers (dont le premier a été reproduit dans l’ouvrage collectif L’audace en art ; l’Harmattan) qui demandent que le Conseil Régional assume enfin sa responsabilité, sont restés sans réponse.
Il faudrait s’interroger aussi sur le silence de la presse, tous medias confondus, qui fait la sourde oreille et garde les yeux fermés sur ce scandale politico financier. Que dire du silence de l’Etat (la DRAC qui a, en principe, une mission d’expertise et de conseil auprès des collectivités territoriales, le ministère de l’Outre-mer), concerné lui aussi par ce qui se passe dans une institution de la République ? Mais c’est vrai, il est là quand il veut et surtout pour maintenir l’ordre… Un certain ordre, quitte à envoyer paître la République qui s’en accommodera bien !
Face à ce mutisme révélateur du modèle de ‘‘démocratie monarchique’’ qui s’applique dans la Caraïbe française, et d’une étrange conception de l’art et de la culture, nous disons qu’une telle commande officielle n’aurait jamais dû avoir lieu. Un peintre, dont l’imagerie révisionniste est injurieuse pour le peuple de Guadeloupe et les principes de la République, n’a pas sa place dans la première institution politique de ce pays.
Quelques élus locaux lui en firent une de premier choix, et avec la bénédiction zélée d’une partie de nos ‘‘élites’’ pensantes. « Toujours l'exotisme fut l'impensé de l'occident », tels sont les mots d’Ernest Pépin dont on peine à croire, à lire ses écrits concernant les réparations de l’esclavage, ou « Quelle leçon tirer de Barack Obama ? » en rapport avec l’actualité, que le directeur des Affaires Culturelles et du Patrimoine au Conseil Général de la Guadeloupe fut un des 80 signataires du catalogue d’exposition de Réache ! Sont-ce là les « valeurs » qu’il propose à notre jeunesse ?
Je crois pour ma part qu’un intellectuel doit tenter de faire ce qu’il dit et ne peut se dédouaner de la morale qu’il propose aux autres (concernant la sphère publique en tout cas), faute de quoi, il n’est pas crédible.
Or, la présence de ces peintures au cœur même de l’institution publique est insultante à plus d’un titre. Elle l’est pour l’histoire du peuple guadeloupéen en particulier, autant que pour l’art et la culture en général. Sous la place d’honneur réservée aux peintures de Réache, un vulgaire strapontin pour ceux qui acceptent que leurs tableaux côtoient les siens. On peut en effet apercevoir, dans l’entre-deux du J-T local (montrant le locataire de la Région) des toiles d’artistes ‘‘locaux’’ sous celles de Réache. Un petit bout de mur, de quoi contenter toutes les petites ambitions à peu de frais et en faisant l’économie d’un débat public embarrassant.
Afin de montrer clairement ma désapprobation face au silence gêné de la Région, j’ai refusé de participer sans conditions, à un projet en cours ‘‘d’encyclopédie de la peinture guadeloupéenne des origines à nos jours’’ dirigé par Roger Toumson sous la férule du Conseil Régional. Je pose comme préalable à ma participation à tout projet de ce type commandité par la Région Guadeloupe, le décrochage officiel et définitif des peintures de Nicole Réache. Ce serait, ici, une première en art. Un acte pédagogique et citoyen. Un acte pour la mémoire à l’heure des projets de Mémorial Acte !
Pouvons-nous accepter de collaborer avec un pouvoir politique qui veut se servir à bon compte des talents et des savoir-faire en leur demandant de passer sous silence leurs convictions les plus nobles et les plus profondes ? Un pouvoir qui, plutôt qu’entendre nos propos argumentés, n’hésite pas à faire appel à des « mercenaires » venus d’horizons lointains, en mal de petite gloire et d’argent.
Les intellectuels et les artistes, censés être des citoyens éclairés et éclairants, ne peuvent accepter silencieusement que les ‘‘œuvres’’ de Réache trônent au cœur de la principale institution politique de notre pays. J’en appelle à leur responsabilité et à leur vision, car mieux que d’autres, ils savent le sens et le pouvoir des images. Devant l’Histoire et les futures générations, nous porterions la responsabilité d’un manque d’engagement.
10 ans de cette farce grotesque c’est assez ! Le temps est venu de faire savoir aux hommes du pouvoir que les artistes ne sont pas à vendre à l’encan et sans conditions à l’approche des élections, contre deux pages de papier glacé dans un livre pour touristes. Car enfin, quel observateur extérieur prendrait au sérieux un petit milieu de plasticiens qui aurait la complaisance de se placer sous une telle bannière, peinte aux couleurs d’une honteuse mascarade ? Intellectuels et artistes, allons-nous nous laisser instrumentaliser et n’être que les simples faire-valoir de quelques actions spectaculaires mais vides de toute substance tenant lieu ici de ‘‘politique culturelle’’ ? Ou bien tenterons-nous, d’adopter l’exigeante posture de l’intégrité ?
Après avoir fait, dans quelques discours et manifestations commémoratives, le procès du colonialisme, il faut savoir rester cohérent dans nos actes. Ernest Pépin, (avec d’autres) directement impliqué dans cette affaire et par ailleurs directeur des Affaires Culturelles au Conseil Général devrait avoir quelque déclaration à faire. Nous l’entendons réclamer pour la Critique le droit d’exister. Je le prends donc au mot, car dans une démocratie, il faut répondre aux citoyens quand on est comptable du bien public. Demandons tous, d’une même voix, que soient décrochées des murs du Conseil Régional, les peintures de Réache, de manière officielle et définitive. Pour que la culture et l’art puissent, ici, signifier autre chose que l’hideux visage de l’aliénation. Un projet que même les plus pragmatiques d’entre nous, sur ce caillou des îles d’Amérique, ne sauraient qualifier d’utopie perdue tant il est à notre mesure.
Guadeloupe, le 29 janvier 2009
Jocelyn Valton, Critique d’Art – AICA
----------------------------------------------
Pour mémoire :
Liyannaj Kont Pwofitasiyon : Les non créolophones comprendront Union contre les abus.