Il y aussi un article dans le télérama très complet, je le colle ici. Il est vrai que les médias ne nous ont jamais parlé de leur Histoire ! :
http://www.telerama.fr/idees/qui-connait-vraiment-les-roms,59347.php | |
Les Roms, ces boucs émissaires
LE FIL IDéES
- Confusion,
stigmatisation : la méconnaissance des Roms et des gens du voyage mène à
tous les excès, à l'image de la nauséabonde politique d'expulsion menée
actuellement par le gouvernement. Afin de mieux connaitre l'histoire de
ce peuple souvent rejeté, nous avons rencontré Marcel Courthiade,
professeur de langue et de civilisation romani. Il nous offre un
éclairage précieux… et civique. Expulsion d'un camp de Roms par les forces de l'ordre, le 10 août 2010 à Montpellier. - © PhotoPQR / Le Midi Libre / R. Dehullessen
L'insulte à la République Stigmatiser une des communautés qui composent la France, qu'elle soit culturelle ou ethnique, religieuse ou linguistique, est impardonnable. D'abord, parce que la France s'enorgueillit, dans ses textes fondateurs, de ne pas distinguer entre ses citoyens lorsqu'il s'agit d'appliquer la loi. Ensuite, parce que notre pays a montré par le passé, malheureusement, qu'il pouvait s'asseoir sur ce principe. Du coup, quand Nicolas Sarkozy dénonce, après avoir pesé ses mots, les « comportements de certains Roms et gens du voyage », et organise dans la foulée une spectaculaire politique d'expulsion de Roms étrangers, il ne se contente pas de déraper : il flétrit l'esprit et la lettre des valeurs qu'il est censé incarner, par sa fonction. Et ravive de mauvais souvenirs. Depuis des siècles, les Roms connaissent le racisme ou la persécution. Sédentaires ou « gens du voyage », français depuis quatre cents ans ou fraîchement venus d'ailleurs, ils payent cash la profonde méconnaissance de leur culture par l'Etat, et par le reste de la population, qui n'a d'ailleurs, il faut le souligner, pas mordu à l'hameçon du président. Mais qui connaît les Roms, vraiment ? Ni meilleurs, ni moins bons que les autres, ils endossent, bien plus que d'autres, le triste manteau du bouc émissaire. Apprendre à les connaître, c'est déjà arracher ce manteau de leurs épaules, empêcher les amalgames et même... l'injure à la République. O. P.-M. |
Les RomsIl s'agit à l'origine d'une
population citadine de la moyenne vallée du Gange, en Inde, déportée en
1018 en direction de l'Afghanistan parce que les Afghans avaient besoin
de leurs compétences d'artistes et d'artisans. Plus tard, les Roms (1)
participent à la grande avancée militaire des tribus seldjoukides (qui
ont donné naissance aux Turcs), les conduisant en Asie Mineure – avant
de poursuivre leur avancée dans les Balkans et le reste de l'Europe de
l'Ouest, au XIVe siècle. « Rom » est le nom par lequel ce peuple se
désigne depuis toujours en langue romani : il provient d'un mot sanskrit
qui signifie « artiste, artisan ».
Ils seraient aujourd'hui entre 10 et 12 millions sur
notre continent, et 3 millions en Amérique, liés par une origine, une
langue et une vision du monde en grande partie communes. La première
population rom arrive en France vers 1420, et son histoire est marquée,
dès 1500, par la persécution. Au début du XXe siècle, ceux qu'on appelle
alors les « bohémiens » sont entre 50 000 et 100 000 sur le territoire.
La Constitution française ne permettant pas de persécuter des citoyens
sur une base ethnique, les autorités transforment, par un tour de
passe-passe lexical, cette communauté « bohémienne » en « nomades »,
c'est-à-dire en délinquants potentiels pour lesquels on crée un « carnet
anthropométrique » à faire viser chaque semaine, comme les repris de
justice. Le terme technique et administratif de « nomades », qui va
désigner les Roms à partir de 1912, est absurde : d'abord, une minorité
de « bohémiens » seulement était alors mobile. Ensuite, les nomades
désignent déjà, à l'époque, les bergers qui font la transhumance. On
amalgamait donc à la fois des Roms et des populations d'origine
française – normande, auvergnate, germanique ou autre.
On recense un demi-million de Roms en France.
15% seulement des Roms français sont mobiles.« Rom » recouvre donc une identité culturelle,
historique et patrimoniale. « Nomades » (puis « gens du voyage » après
guerre) est une catégorie administrative. On recense un demi-million de
Roms en France (chiffre déclaré à la Commission européenne par l'actuel
gouvernement, en 2008), mais 50 % seulement des gens du voyage sont
roms. Et 15 % seulement des Roms français sont mobiles. Cette mobilité
est d'ailleurs une spécificité hexagonale, puisque 2 % seulement des
Roms européens sont itinérants, ce qui ne les empêche pas de la
considérer, avec fierté, comme partie intégrante de leur patrimoine
culturel : ils ont adopté cette mobilité, la revendiquent désormais
comme leur richesse face à l'uniformisation des modes de vie. Rappelons
d'ailleurs que cette singularité est un droit, reconnu par l'article
13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme...
Lorsqu'une population est inculte ou acculturée, sa
langue disparaît en quelques générations. Le romani, apparenté à
l'hindi, existe, lui, depuis plus de mille ans !, et reste une langue
bien vivante, alors que notre pays, comme le savent hélas les Bretons et
les Provençaux, a passé tous ses parlers régionaux à la moulinette
jacobine. Il existe une littérature romani, qui date de la fin du XIXe
siècle, et qui s'est enrichie de façon tout à fait singulière en Union
soviétique entre les deux guerres – avec de la prose courte très
savoureuse et un peu de poésie, puis, après guerre, par de la poésie en
Yougoslavie, Hongrie et Tchécoslovaquie.
En matière religieuse, on parlera de « spiritualité
rom » plutôt que de religion fixe ou de dogmes. Les Roms ont développé
des schémas matriciels sur lesquels différentes religions peuvent se
greffer. Passer du polythéisme indien à l'islam, de l'islam à
l'orthodoxie, puis au protestantisme ou au catholicisme fervent, ne leur
a guère posé de difficultés. Tout le contraire, donc, de l'enfermement
religieux, même si on constate aujourd'hui le succès d'un évangélisme
strict au sein de certaines communautés.
On reproche parfois aux Roms de vivre repliés sur
eux-mêmes, d'avoir une culture fermée au monde extérieur. C'est un
stéréotype : tous les cas de figure existent, d'un bout de l'Europe à
l'autre. Dans les régions monolithiques sur le plan culturel, comme les
Carpates, les communautés vivent plutôt refermées sur elles-mêmes – et
les Roms n'échappent pas à la règle. Là où les échanges territoriaux
sont plus nombreux, en revanche, comme dans les Balkans, l'osmose avec
les autres populations est permanente, mais rien dans la culture rom ne
s'oppose à la rencontre et à la mixité, y compris dans les mariages :
ainsi, un père gitan aura beau répéter que sa fille n'épousera jamais un
gadjo (et les parents ont une réelle emprise sur leurs enfants, car la
cohésion familiale reste forte dans cette communauté), un mariage mixte
qui se passe bien est une fierté !
ItinéranceIl est impossible de savoir combien de gens du
voyage circulent en France, car les statistiques ethniques sont
interdites. Mais on parle de 50 000 à 100 000 personnes. Les convois se
forment en fonction des circonstances – les opportunités de travail, de
commerce (les marchés), les menaces d'expulsion, la taille des aires de
stationnement disponibles (et elles représentent 30 % de ce que la loi
exige !) ou les pèlerinages –, et le nombre de voitures dans chaque
convoi ne suit pas de règle a priori. On constate en revanche la
répétition de certains modèles dans l'espace parcouru – les gens du
voyage tournent souvent à l'intérieur d'un seul département – et dans la
fréquence des départs : pour garder leur statut de « gdv », ils doivent
bouger ! Leur carnet de circulation tient souvent lieu de papiers
d'identité. Et ce carnet, ils vont le chercher au service... des
étrangers, dans les préfectures, alors qu'ils sont français et que leur
attachement au pays est aussi fort que celui d'un Normand. Ce qui
n'empêche pas les Roms de se reconnaître aussi dans l'identité romani,
et d'avoir plaisir à rencontrer d'autres Roms d'un bout à l'autre de
l'Europe.
Mendicité C'est une question délicate, pleine de malentendus.
D'abord, les faits : partout où on n'a pas mis de bâtons dans les roues
des Roms, ces derniers ont prospéré. Ainsi, les deux tiers des Roms
européens sont très bien intégrés : on trouve parmi eux des PDG, des
artistes de renom ainsi que des profs et des commerçants. La misère
d'une partie d'entre eux n'est donc ni une malédiction, ni une
prédestination, ni une incapacité. Observons ensuite les chiffres : il y
a aujourd'hui, en France, environ 8 000 Roms de Roumanie et 1 000
autres de Bulgarie. On estime dans le même temps à 100 000 le nombre de
ressortissants roumains et bulgares (non-Roms) dans notre pays. Ces
derniers bossent au noir puisque leur droit au travail légal est soumis à
de sérieuses restrictions jusqu'en 2014, mais ils ne font l'objet
d'aucune mesure particulière des gouvernements.
Pour les Roms qui viennent en France, la situation
est donc doublement bloquée : en Roumanie, les efforts, incontestables,
du gouvernement pour combattre la discrimination tardent à faire sentir
leurs effets sur le terrain. La corruption, les magouilles
politiciennes, une gestion catastrophique des aides et le racisme
ordinaire empêchent que la situation des Roms s'améliore durablement.
Second blocage, cette fois en France : les immigrés roumains n'ont pas
plus envie de partager leur job avec les Roms ici qu'en Roumanie. Ils
exercent une espèce de blocus, en privilégiant leurs réseaux familiaux
et amicaux. Ajoutons enfin que la grande majorité des Roms des pays de
l'Est qui arrivent en France sont des évangélistes qui se refusent
absolument à la délinquance (même s'il existe, comme partout, des
exceptions). Bloqués, en Roumanie comme en France, pour trouver du
travail, « interdits » de vol, que leur reste-t-il ? La mendicité. Mais
rien, dans leur culture, n'a jamais dit que celle-ci était une «
profession » honorable.
ScolarisationUne des motivations essentielles des Roms roumains
qui viennent en France, Italie et Espagne, est la scolarisation des
enfants : le roumain étant proche des langues de ces pays, ils pensent
que leurs enfants s'y intégreront mieux qu'en Suède ou en Allemagne,
pourtant plus riches. Mais l'espoir de scolarisation est vite déçu,
certaines écoles refusant d'accueillir les enfants bien que la loi les y
oblige. Après une ou deux tentatives, de guerre lasse, les parents
abandonnent. En ce qui concerne les gens du voyage, on peut concevoir
que lorsqu'un convoi arrive dans un quartier, avec une dizaine
d'enfants à scolariser, la situation n'est pas facile à gérer pour
l'instituteur, la classe et, évidemment, les enfants voyageurs.
Pas la moindre mention de la communauté rom
n'apparaît dans les ouvrages scolaires.
Pourtant, si l'école française était préparée au
fait que, de temps en temps, des enfants vont se joindre à la classe,
parce que leurs parents ont un mode de vie différent mais légitime, les
choses seraient beaucoup plus aisées. Si l'on intégrait enfin dans les
manuels de géographie qu'il existe un type d'habitat mobile en France,
si l'on consacrait ne serait-ce qu'une demi-page à cette vaste
communauté rom dans les livres d'histoire, le regard des enfants et des
instituteurs changerait. Or pas la moindre mention de cette communauté
n'apparaît dans ces ouvrages. On ne la trouve pas plus, d'ailleurs, dans
la plupart des histoires de France ou du monde. Les Roms sont des
fantômes : comment voulez-vous que le citoyen français soit préparé à
les accepter quand ils surgissent dans son paysage ?
Les déclarations de Nicolas SarkozyLa communauté des Roms, mais aussi les gens du
voyage, les ont reçues sans surprise mais avec inquiétude. On peut se
demander si Nicolas Sarkozy a intégré les valeurs de la République qu'il
préside : faut-il lui rappeler que, dans ce pays, les châtiments
collectifs (car une campagne massive, déclenchée brutalement après un
incident, n'a pas d'autre nom) ne relèvent pas d'une vision
constitutionnelle du droit ? Comparez l'ampleur des mesures prises, au
lendemain des événements de Saint-Aignan, contre des milliers de
personnes vulnérables, avec celles décidées au même moment à Grenoble,
où les troubles étaient bien plus graves (2) : on constate qu'il y a
deux poids, deux mesures. Et c'est la définition même de la
discrimination.
La mobilisation des Français pour la défense de la
communauté rom a été forte et belle. Mais va-t-elle durer ? Quand Michel
Rocard cite Vichy, certains trouvent qu'il va trop loin. N'empêche,
aujourd'hui comme hier, un gouvernement dépassé par la crise économique
cherche son bouc émissaire, et une diversion. N'oublions pas que, sous
Vichy, ce sont les gendarmes français qui ont enfermé les « nomades »
sous divers prétextes sécuritaires, notamment celui d'« espionnage » ;
que plusieurs centaines, sans doute même des milliers, de Roms sont
morts dans les camps en France, et que près de 600 000 ont été massacrés
en Europe. Si les gens acceptent la stigmatisation tentée par Nicolas
Sarkozy, les choses peuvent dégénérer. Pour le moment, ce n'est pas le
cas. Mais comme disait Brecht,
« le ventre est encore fécond, d'où est surgie la bête immonde ». Mieux vaut combattre celle-ci dans l'œuf.
.
Propos recueillis par Olivier Pascal-Moussellard Télérama n° 3163 (1) Ou Rroms, selon la graphie savante dérivée du cyrillique.
(2) En juillet, la mort d'un jeune homme tué par des gendarmes à un
barrage avait provoqué la colère de la communauté gitane, et s'était
soldée par des dégâts matériels. A Grenoble, dans le quartier de la
Villeneuve, plusieurs nuits d'émeute ont suivi la mort d'un braqueur de
casino tué par la police en juillet, et des menaces de mort avaient été
adressées aux policiers.
A lire
“Samudaripen, le génocide des Tsiganes”, de Claire Auzias, éd. L'Esprit frappeur, 204 p., 5 EUR.
“Sagesse et humour du peuple rrom” (proverbes bilingues), de Marcel Courthiade, éd. L'Harmattan, 208 p., 19,50 EUR.
“Les Rroms”, de Morgan Garo, éd. Syllepse, 234 p., 21 EUR.
“Paroles perdues” (poésie), d'Alexandre Romanès, éd. Gallimard, 104 p., 10 EUR.
“Sur l'épaule de l'ange” (poésie), d'Alexandre Romanès, éd. Gallimard, 88 p., 10 EUR.
Blog : http://lesrroms.blogg.org/
A noter
14 septembre, manifestation du Mrap à l'occasion du 140e anniversaire de la République, à Paris. Renseignements : www.mrap.fr
Glossaire
Les Tsiganes regroupent trois grands ensembles historiquement différenciés en Europe : les Roms, d'Europe centrale, les Sintis ou Manouches, de France, d'Italie, du Benelux et d'Allemagne, et les Gitans, du midi de la France, d'Espagne et du Portugal.